vendredi 18 novembre 2022

Le devoir de Vertières, pour la vie ou pour la mort.


Nous, Haïtiens, devons commémorer toujours avec ferveur le 18 novembre de chaque année et surtout respecter chaque jour l’esprit de Vertières qui a rendu la liberté à nos ancêtres. Vertières signifie la victoire des noirs sur les colons et la fin de 3 siècles (1503 – 1803) d’oppression et d’exploitation, à Saint-Domingue, après qu’ils aient été arrachés à leur terre africaine pour remplacer progressivement sur l’île les Amérindiens (Cyboneys, Arawaks, Tainos), victimes de génocide et d’extermination.

1. État des lieux

5 septembre, 3 octobre et 7 novembre 2022, trois rendez-vous ratés pour la rentrée des classes. Quand ce n’est pas l’État qui la reporte, ce sont les parents qui gardent les enfants à la maison. La rue n’inspire pas confiance, en plus du coût du transport et de la vie qui devient excessif, à cause de la hausse vertigineuse du prix du carburant et de la dépréciation de la gourde. C’est le même souci pour les entrepreneurs, paysans et citadins, qui assistent de manière impuissante au gaspillage et à la perte de leurs marchandises ou à la fermeture de leurs entreprises, alors que certains ont contracté des emprunts et sont obligés de mettre en chômage leur personnel.

Toutes les lignes rouges sont quasiment franchies.  C’est une situation intenable que connaît le pays, qui apporte deuil, souffrance, famine, décapitalisation, deshumanisation, crise identitaire, etc.  Le peuple est vraisemblablement soumis à un nouveau régime d’exploitation qui anéantit sa liberté, l’étrangle ou l’asphyxie.  Le VSN qui est le sigle de « Volontaires pour la Sécurité Nationale » a été longtemps associé à « Veritab sove nèg ».  Mais, ce fruit à pain (« Veritab » en créole), qui a été introduit dans les colonies pour nourrir les esclaves, est aujourd’hui ce que les agriculteurs en milieu rural consomment matin, midi et soir pour gérer la famine. C’est le désarroi et le désespoir en particulier chez les jeunes qui voient leur avenir piégé et qui ne pensent qu’à s’enfuir.  Le gouvernement réalise son vœu de rester plus longtemps au pouvoir et d’augmenter le prix de l’essence pour faire profiter sa bande. Entre-temps, le grand nettoyage se fait pour rendre la route des élections plus facile pour les seigneurs de la guerre. 

Bien qu’on passe plus de 35 ans à critiquer le régime de Duvalier, paradoxalement tout semble indiquer que la fierté d’être haïtien s’arrête à son temps.  Vous comprenez pourquoi Jean Claude Duvalier, à son retour en Haïti, a dit : « Qu’avez-vous fait de mon pays ? ». Ça a choqué certains qui ont manifesté leur colère à la place de leur honte (« fè wont sèvi kòlè »). Avez-vous entendu cet ancien député et consul implorer le premier ministre pour faire quelque chose pour les Haïtiens qu’on est en train de maltraiter et d’assassiner en terre voisine ? On l’a vu plus tôt au Texas (États Unis d’Amérique du nord).  Faute d’une diplomatie active et d’un état responsable qui protège ses citoyens à l’étranger, conformément aux conventions et aux droits internationaux, les Haïtiens subissent toutes sortes d’humiliations.

2. Qui sont les responsables ?

Nous avons donc profané et trahi le symbolisme solennel de Vertières, bourreaux comme victimes, respectivement qui créons et acceptons la situation actuelle du pays.  C’est la faute des dirigeants qui pratiquent la mauvaise gouvernance et qui sont des marionnettes serviles aux mains des manipulateurs internationaux et locaux, au lieu se comporter comme un acteur impartial et conséquent. C’est la faute des politiciens qui pratiquent le védetariat, la division et la sous-traitance au lieu d’être des leaders responsables au service du peuple. C’est la faute des financiers sans vergogne et des monopolistes commerciaux qui spéculent et ne jurent que par leurs intérêts mesquins, des institutions internationales et leurs subalternes humanitaires et religieuses, le Core group, se faisant aider par des fonctionnaires corrompus et une partie de l’élite prédatrice, pour mieux asservir le peuple, dominer et exploiter le pays. C’est la faute de la masse qui vend son vote pour un sac de riz et de l’argent au lieu de faire valoir ses droits et de voter les bonnes personnes ; qui pratique une capacité d’encaisser, de s’ajuster et de se tenir debout sur le chaos au lieu de se révolter.  C’est la faute des réserves saines du pays qui restent les bras croisés et qui, par peur ou par lâcheté, refusent de prendre leur responsabilité d’élite.  

3. Changer de logique

Plusieurs questions se posent et s’imposent à nous en ce moment comme peuple et société. Qui peut et comment arrêter ce vaste complot et cette machine infernale ? S’il ne faut pas une occupation d’Haïti, qui va résoudre par exemple la question des gangs ?  Comment solutionner les autres problèmes ? Faut-il une tabula rasa ou faut-il composer avec les acteurs du handicap ?

C’est une équation complexe et un problème global à résoudre, en opposant aux acteurs du handicap et à leurs complices un rapport de force magnanime, une résistance ferme qui défie leur agenda caché qui est la raison même de l’existence des gangs. C’est le moment, vu que nous sommes dans la trame historique de Vertières. La majorité silencieuse doit se mettre debout pour clamer d’une seule voix son amertume, son dégoût, sa douleur commune qui la tenaille jusque dans ses entrailles, pour réagir par la désobéissance civile et des actions dissuasives contre le prix fort formel et informel du carburant, pour bombarder de lettres revendicatives les bureaux des dirigeants et pour mobiliser l’opinion publique mondiale sur cette injustice inqualifiable qui empêche tant l’Haïtien de vivre comme un être humain, que Haïti d’être un pays souverain et prospère malgré ses nombreuses richesses et ses multiples atouts. 

4. C’est l’heure de Vertières

Redresser la barque d’Haïti prendra du temps.  Le spectre d’une guerre civile, le kidnapping, les gangs et la crise humanitaire ne justifient en rien une nouvelle invasion et occupation du sol haïtien.  Ils renvoient plutôt à un saut qualitatif dans la façon dont les protagonistes voient et traitent Haïti, pour faire émerger un autre rapport fait de respect et de tolérance.  Mais, s’ils optent résolument pour le premier choix, sans doute pour satisfaire un agenda caché, à leurs armes meurtrières, nous devons leur opposer jusqu’à la victoire finale notre conviction, notre courage et notre détermination à changer cet ordre de chose. 

En l’absence de leaders crédibles ou émergents fiables, nous devons nous-mêmes nous organiser par région et par quartier pour opposer cette résistance. Si jamais ça tarde à marcher, il faut passer à un autre plan qui chavirera la barque de ce système infernal. Il n’aura jamais d’omelette sans casser des œufs.  Si vous êtes croyants, priez votre Dieu ou invoquez vos loas, mais surtout agissez là où vous êtes selon des stratégies adaptées à votre réalité, mais qui devront aboutir toutes au même résultat : un système participatif, juste et équitable.

Après ce que j’ai vu et entendu dans les Nippes et le Sud, qui est peut être pareil ailleurs dans le monde rural, si les paysans ne changent pas leur fusil d’épaule ils mourront tous, comme l’a dit Délira dans « Gouverneur de la rosée ». Paysannerie et masse urbaine, faites appel au courage d’un Jean-Jacques Dessalines, d’un Jean-Baptiste Perrier dit Goman, d’un Louis Jean-Jacques Accaau, d’un Charlemagne Masséna Péralte, défenseurs de la liberté et chefs de la résistance paysanne. Classe moyenne et élite saines, sortez de vos hésitations et de votre passivité complice.  Devenez des acteurs, des éclaireurs et des progressistes comme un Joseph Auguste Anténor Firmin et un Léon Dumarsais Estimé pour reconstruire Haïti et relever le standing haïtien. Communicateurs professionnels des ondes, soyez comme un Théophile Salnave (dit ZO) pour jouer un rôle noble à chaque moment que les circonstances l’exigent.  Haïtiens vivant à l’étranger, c’est le moment d’arrêter de financer le misérabilisme et la consommation qui ne profite qu’aux manipulateurs locaux et internationaux et à leur économie, pour supporter plutôt la résistance à travers la production locale de toutes sortes et la valorisation de nos ressources minières, et pour faire le lobbying là où vous êtes, en mobilisant avec vous la communauté citoyenne internationale qui croit encore en l’humanité et à sa destination totale. 

5. Conclusion

Il ne s’agit pas en effet de mettre tout le monde dans le même panier. Mais, il faut distinguer le bon grain de l'ivraie.  Il ne s’agit pas non plus de nier les grands défis que sont les gangs, le kidnapping et la crise humanitaire, pour lesquels il faut certainement la solidarité des autres.  La question est comment ?  Le constat montre que les approches traditionnelles de coopération et d’occupation ne sont en général pas efficaces.  Elles n’ont fait qu’aggraver la situation au lieu de l’améliorer.  Il faut changer de paradigme et faire un pari sur structure neuve.  Notre organisation par région et par quartier, articulée autour d’une logique de décentralisation, doit servir alors non seulement de crible pour neutraliser les mauvais grains, mais aussi de cellule transcendantale et transformationnelle de notre société sur le plan politique, géostratégique, infrastructurel, fiscal, social, économique, environnemental, culturel et sportif, etc.

Refonder l’État devrait être ça le bon combat à mener pour un autre Haïti, foyer d’une identité commune, d’une citoyenneté de « droit et devoir », dans une démarche d’équité de genre et de justice sociale.  L’éducation, l’économie et la justice, couplées avec la transversalité de l’infrastructure et de l’environnement offrent la base pour bien démarrer.  Autrement dit, l’objectif est de sortir le pays de cette longue nuit ténébreuse pour s’ouvrir définitivement à la lumière, et de retrouver tant notre dignité de peuple que notre souveraineté nationale qui sera jalousement gardée par des dirigeants responsables que nous aurons élus nous-mêmes de façon responsable.  Nous le ferons non seulement pour rendre justice à cette kyrielle de victimes de toutes sortes, de 1806 à aujourd’hui, mais aussi pour sauver les enfants et les jeunes qui sont les plus grands sacrifiés de nos générations actuelles.  Ils n’avaient pas demandé à naître et trouveront devant eux une mondialisation qui leur exigera des capacités compétitives pour se frayer dignement leur route et pour réussir.

Ayiti pap peri !


Abner Septembre

Sociologue, 18/11/2022

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